Et si la frustration était ta meilleure alliée ?
- lauriane lamperim

- 13 nov.
- 5 min de lecture
Dans notre société moderne où tout va vite, où tout est accessible en un clic, nous supportons de moins en moins la moindre contrainte. Nous voulons tout, tout de suite, sans effort, sans attente, sans obstacle.
Résultat : la frustration est devenue une émotion mal perçue, qu’on cherche à éviter à tout prix. On ne veut plus être frustré, on ne veut plus frustrer nos enfants, on ne fait plus de régime pour éviter la frustration…
Pourtant, la frustration n’est pas notre ennemie.
C’est une alliée vitale, une émotion essentielle à l’apprentissage, à la motivation et à la réussite.

En tant qu’athlète de haut niveau, j’ai souvent expérimenté à quel point la gestion des émotions peut être déterminante dans la performance.
L’entraînement ne forge pas seulement les muscles ou la technique, il apprend aussi à apprivoiser la frustration, la peur de l’échec ou la pression du résultat.
C’est cette capacité à accueillir et réguler les émotions qui, au fil des années, m’a permis de transformer le stress en énergie et les revers en apprentissage, une compétence qui dépasse largement le cadre du sport.
1. Les quatre émotions de base
Selon le modèle du psychologue Paul Ekman, les émotions fondamentales sont universelles et se reconnaissent à leurs expressions faciales communes à toutes les cultures.
Elles sont au nombre de quatre principales dans une approche simplifiée :
La joie : elle nous pousse à reproduire ou prolonger un comportement bénéfique.
La colère : c’est l’émotion du mouvement, celle qui pousse à agir, à transformer, à surmonter un obstacle.
La peur : elle provoque un arrêt du mouvement, une phase d’observation et d’analyse avant d’agir.
La tristesse : elle nous incite à nous détacher d’un comportement ou d’une situation devenue inefficace ou douloureuse.
Toutes les autres émotions ne sont que des nuances ou des combinaisons de ces émotions fondamentales.
Voir aussi l’article « Transformer le stress en énergie positive » pour une approche détaillée de ce fonctionnement émotionnel.
2. La frustration : une émotion composite
La frustration est une combinaison de tristesse et de colère :
La tristesse : parce qu’une action ne donne pas le résultat attendu. Elle nous pousse à abandonner l’action.
La colère : parce qu’un obstacle se dresse entre nous et notre but. Elle nous pousse à réagir et à chercher une autre voie.
Ce mélange peut sembler contradictoire, mais il ne l’est pas.
La tristesse ne nous fait pas abandonner l’objectif, elle nous fait seulement abandonner le chemin emprunté.
Autrement dit, notre système émotionnel dit :
"Cette stratégie ne fonctionne. Trouve-en une autre."
3. Quand le corps nous pousse à abandonner
Une étude menée sur des souris illustre parfaitement ce mécanisme.
Les chercheurs avaient appris à des souris à trouver de la nourriture dans un labyrinthe.
Au début, la récompense était facile à obtenir. Puis, à mesure que l’expérience se compliquait, la nourriture devenait de plus en plus difficile à atteindre.

Résultat : les souris faisaient de plus en plus d’efforts, puis finissaient par abandonner.
À ce moment précis, leur cerveau libérait une substance appelée nociceptine (ou orphanine FQ), un neuropeptide qui inhibe la dopamine, c’est-à-dire la motivation.
Ce mécanisme biologique freine le comportement d’effort pour éviter une dépense d’énergie inutile.
Ce n’est pas une faiblesse, c’est un mécanisme de protection.
Le corps ne renonce pas par échec, il s’autorégule pour éviter l’épuisement.
4. Le rôle de la colère : se réorganiser pour rebondir
Après cette phase d’arrêt (tristesse), une autre émotion prend le relais : la colère.
Elle relance le mouvement, pousse à se réorganiser, à changer de stratégie.
Notre organisme ne renonce donc pas à l’objectif : il recule pour mieux sauter.
C’est cette alternance, entre inhibition protectrice et réactivation, qui fait de la frustration un moteur d’adaptation.
5. Pourquoi nous vivons mal la frustration aujourd’hui
Dans une société qui valorise la réussite immédiate et stigmatise l’échec, cette phase d’arrêt est souvent vécue comme une défaite personnelle.
Le relâchement de motivation lié à la nociceptine est perçu comme une faiblesse, ce qui mine la confiance en soi.
On croit avoir échoué, alors que biologiquement, on est simplement dans une phase de recalibrage.
C’est souvent à ce moment-là qu’on lâche tout, non pas par manque de volonté, mais parce qu’on ne comprend pas le signal du corps.
Une bonne gestion de la frustration, au contraire, permet de laisser la colère constructive reprendre le relais et de rebondir autrement.
6. Tolérance à la frustration : un marqueur de réussite
Cette idée est confirmée par l’un des travaux les plus célèbres de la psychologie :
le test du marshmallow, mené par Walter Mischel à l’Université Stanford dans les années 1970.
Des enfants recevaient un marshmallow et pouvaient en manger un tout de suite, ou attendre quelques minutes pour en obtenir deux.
Ceux qui toléraient la frustration de l’attente avaient, des années plus tard :
De meilleurs résultats scolaires
Une plus grande stabilité émotionnelle
Une meilleure santé mentale
La capacité à différer la récompense, c’est-à-dire à accepter la frustration, est un facteur clé de réussite à long terme.
7. La frustration au quotidien : un signal d’adaptation
Prenons un exemple simple : tu t’entraînes depuis plusieurs semaines pour atteindre un objectif, une performance, une reprise après blessure ou un nouveau mouvement technique.
Tu fais les efforts, tu t’appliques, mais les progrès ne viennent pas aussi vite que tu le voudrais.
Cette phase, où rien ne semble avancer malgré la discipline, est typiquement un moment de frustration.
Le corps et le mental réclament une pause, la motivation flanche, le doute s’installe.
Pourtant, c’est souvent là que se joue la bascule : si tu acceptes cette émotion au lieu de la fuir, tu peux réajuster ta méthode, te reposer intelligemment, puis rebondir plus fort.
La frustration devient alors un signal d’adaptation, pas un signe d’échec.
8. Apprendre à gérer la frustration : 4 clés concrètes
La clé n’est pas de la fuir, mais de la vivre consciemment.
Car plus on fuit la frustration, plus elle grandit.
Plus on la traverse, plus on devient résilient et créatif face à l’obstacle.
Voici quelques pistes concrètes :
Faire une pause consciente
Ne cherche pas à éviter la frustration, mais vis-la pleinement comme une émotion utile. Choisis volontairement un chemin moins agréable pour t’entraîner à tolérer l’inconfort.
Réévaluer la stratégie, pas l’objectif
Demande-toi : “Mon but est-il impossible, ou ma méthode simplement inefficace ?” Si c’est la méthode, ajuste-la.
Transformer la colère en action constructive
Bouge, écris, parle, marche : utilise cette énergie pour relancer le mouvement.
Valoriser l’échec comme apprentissage
Note trois choses que la situation t’a apprises.Ainsi, la frustration devient un signal d’évolution plutôt qu’une punition.
Conclusion
La frustration n’est pas une ennemie à éliminer, mais une enseignante exigeante.
Elle nous apprend la patience, la persévérance et l’intelligence de l’adaptation.
C’est elle qui nous fait grandir, progresser et réussir à condition de l’écouter au lieu de la fuir.
Et toi, comment réagis-tu face à la frustration ? Partage ton expérience en commentaire 👇
Lauriane Lamperim
Kinésithérapeute et ancienne membre de l'équipe de France de Tumbling.
Pour les curieux :
Pour aller plus loin et approfondir le sujet, voici les sources sur lesquelles je me suis appuyée
Références bibliographiques
Ekman, P. (1992). Are There Basic Emotions? Psychological Review
Burokas, et al. (2013). Operant Model of Frustrated Expected Reward in Mice. Universitat Pompeu Fabra.
Ko, M., et al. (2019). Frustration and nociceptin signaling in motivational control. UTMB, Texas.
Mischel, W., Shoda, Y., & Rodriguez, M. L. (1989). Delay of gratification in children. Science
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